juin 24 2008

Je veux au moins le “sumimasen”

Published by lilibiquette under A Tôkyô

Imaginez cette scène. 

Je marche tranquillement dans les rues de Sengawa  ; pour une fois, je ne suis pas en retard pour la reprise de mon “service” à la fac. J’avance sans trop regarder devant moi, les yeux rivés sur l’écran de mon téléphone portable : piu mail envoyé! 

“Sumimasen…” (excusez-moi). 
Tiens, qu’est ce qui ce passe? Un drame à Sengawa?! Une bataille de riverains??!! Je continue ma route.
“Sumimasen… Sumimasennn…”
Hein? Quoi? J’aperçois un homme penché à la fenêtre d’un camion de livraison.
“Excusez moi… Vous ne sauriez pas s’il y a une supérette dans le coin. Euh… Yamazaki Daily Life?”
Je me retourne. Personne derrière moi. Je me re-retourne. Non, vraiment personne derriere moi. Il s’adresse à moi? En tout cas, il a l’air de me regarder. Je tente.
“Si vous continuez tout droit par là, il y a une supérette. Mais, je sais pas si c’est Yamazaki…”
“Ca doit être ça! Merci beaucoup!”

L’homme reprend sa route. Je reprends la mienne.

Ce qui s’est passé ce jour là.

Un homme japonais à demander son chemin à une étrangère (très visiblement étrangère), et ce en japonais. EN JAPONAIS.
L’étrangère est aux anges, c’est la première fois depuis son arrivée au Japon en septembre de l’année dernière qu’un japonais lui adresse la parole, sans douter une seule seconde de sa capacité de comprenhension et d’expression en japonais.

Analyse critique argumentée.

Je pense qu’une grande partie des japonais est persuadée que les étrangers ne parlent pas japonais. Un étranger parle étranger. C’est d’une logique implacable!
Alors quand un de ces derniers semble vouloir entrer en communication, les japonais appartenant à cette dite grande partie peuvent réagir de trois manières différentes.
1 - Transpirer un maximum, se concentrer et se lancer en anglais.
2 - Transpirer un maximum, se concentrer et… abandonner, tout lacher en japonais en espérant très fort que l’étranger comprenne.
3 - Transpirer un maximum, et… fuire avant d’avoir rencontrer le regard de l’étranger. Après tout, c’est son problème.

Quelques exemples concrets pour illustrer :
L’ancien vendeur de la parapharmacie qui m’annoncait le prix en anglais et me faisait des grands gestes pour m’expliquer qu’il allait mettre dans un sac opaque mon PQ (pour un transport en tout discretion).
Le jeune homme du combini qui me regarde intensement avant de me demander en japonais si je veux payer mes factures et mon paquet de Galbo ensemble. Puis il me re-regarde intensement l’air affolé jusqu’à ma réponse salvatrice, “ii desu yo”.
Le salariman qui lève la main brusquement en signe de drapeau blanc avant même que j’ai pu dire “sumimasen” et continue sa route sans même un regard.

C’est gentil de la part du pharmacien de faire l’effort de parler anglais. C’est normal que le caissier du combini se pose des questions sur mes capacités à comprendre le japonais avec ma tête d’étrangère. Et c’est connard de la part du salariman de me jeter comme une mal propre.
Pourtant, c’est à lui que j’en veux le moins. Après ses 12 heures de travail journalier à se prendre la tête dans des réunions qui ne débouchent sur rien, pourquoi il aurait envie de répondre à une petite étrangère qui ne parle surement même pas japonais.
Mais le pharmacien! Quand, il me voit débarquer avec mon paquet de PQ dans son magasin de banlieue, il pourrait se dire que je vis ici et que, par conséquent, je peux comprendre au moins les chiffres. 
Et puis, le petit mec du combini! Je viens avec ma facture d’eau estampillée Chôfu-shi, il pourrait se relaxer un peu. C’est sûr que je vis ici, il y a des chances que je comprenne un minimum sa langue. 

C’est vrai qu’il y a plein d’étrangers qui vivent au Japon sans parler un mot de japonais. Je le conçoit. Alors, ils restent méfiants. Je le comprends. Mais, quand je discute dans le train avec des potes japonais en japonais, pourquoi les mères de famille me disent “sorry” quand elles me roulent sur le pied avec leur poussette? Dans ces moments la, j’enrage et non, je les “sorry” pas tout.

Je sais que c’est stupide de ma part mais ca m’hérisse le poil qu’on me parle en anglais. Surtout que je suis française… et nulle en anglais. Je ne demande pas à ce que tous les Japonais se mettent à m’interpeller dans leur langue aussi naturellement que le livreur de mon histoire,  mais je veux au moins qu’ils me laissent le plaisir d’avoir mon ”sumimasen” comme tout le monde. Sharaku, lui, il me l’a dit, mon ”sumimasen”! (c’était la seconde yuki, dans ce post qui se voulait un peu sérieux)

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